Versatile — 1 : Train De Nuit

Le train était presque désert. La nuit tombée, c'était à peine si l'on pouvait voir le paysage défiler derrière les vitres. Parfois, quand on passait à travers un bourg, j'arrivais quand même à distinguer quelques maisons, et puis bien sûr les noms des gares, des noms qui ne me disaient rien, et qui ne sonnaient pas comme les noms de la Bretagne, la mienne, la terre natale. On s'enfonçait dans les vallées des montagnes, ou quelque chose comme ça, dans ce paysage peu familier, avec ses noms peu familiers, et même si je ne savais pas trois mots de breton, j'éprouvais comme une nostalgie des sons de mon enfance.

Pourtant, tout l'été, je n'avais attendu que cela. Après dix-huit ans enfin quitter la maison de mes parents, et les amis de mes parents, et les gens de mon lycée. Ce n'était pas que je ne les aimais pas ; simplement, je n'y croyais plus. Je ne croyais plus à la messe du dimanche, au lycée de Sainte-Marie-de-la-Baie, aux dangers des pauvres, de l'immigration, de l'Europe, à toutes ces idées de ma famille, de la vieille et grande bourgeoisie catholique de Bretagne. Je ne sais pas exactement quand ça s'est passé. Quand je me suis dit qu'eux et moi, dans notre tête, nous vivions deux mondes différents.

Mais je suis parti. Pour de vrai, j'avais pris une carte et j'avais tracé toutes sortes de diagonales, entre Brest et d'autres bouts de la France : Perpignan, Strasbourg, Marseille, Grenoble. C'était à Grenoble que j'allais finalement mais en fin de compte, tout ce qui comptait, c'était de ne pas pouvoir rentrer à la maison le week-end, c'était que mon nom ne dise rien à personne et que personne ne soit capable de deviner d'un coup d'œil l'ampleur de notre fortune, la religion de mes parents ou le nom de mes trisaïeuls.

À la Gare de Lyon, à Paris, dans les toilettes, j'avais troqué le pantalon bien repassé et la chemise pour un jean, des baskets et un tee-shirt à la mode. J'avais défait ma coiffure sage.

Et devant le miroir, en regardant ce que je voulais être, j'avais poussé un soupir de soulagement. Maintenant, presque seul dans ce wagon, dans ce train, je ne regrettais rien, sauf les noms bretons. Je suppose que cette nostalgie, c'était beaucoup aussi la peur de cette vie nouvelle qui s'ouvrait devant moi.

Le wagon est presque désert. Je suis dans le train depuis huit heures déjà. Je demande à la vieille dame en face de moi de garder un œil sur mes affaires et je quitte ma place pour me dégourdir les jambes. Sur la plateforme, un type discute au téléphone. Je poursuis mon chemin. À gauche, je jette un coup d'œil et mon regard croise celui d'un gars qui doit avoir deux ou trois ans de plus que moi, les cheveux courts, massif, avec un treillis. J'aurais pu deviner que c'était un chasseur alpin qui rentrait de permission. Il est dans les toilettes et il me fixe. Il s'écarte un peu à l'intérieur.

Je sens un drôle de frisson dans le bas de mon dos. Je suis presque sûr qu'il m'invite à rentrer. La première question qui me vient à l'esprit : est-ce que ça se voit tant que ça ? Moi, je sais que j'aime les garçons. Péniblement, laborieusement, j'en ai pris conscience ces dernières années. Pas comme si ça avait servi à grand-chose d'ailleurs. Mais les autres, est-ce qu'ils le voient ? Est-ce que je fais gay ? Concrètement, ça voudrait dire quoi, d’ailleurs, faire gay ?

Je rentre dans les toilettes. Il ferme la porte. En vrai, je ne sais pas ce que je fais là. Je sais ce que je suis censé faire, je veux dire, mais je ne sais pas pourquoi. Je crois que c'est cette espèce de sentiment de liberté grisant qui me fait croire que tout est irréel et qu'entre ça et un rêve, ce n'est pas très différent.

— Salut, j'm'appelle...

Les mots sont sortis timidement, maladroitement de ma bouche, mais il presse son index contre mes lèvres et se met à genoux devant moi. Je suis tétanisé, alors je le laisse descendre ma braguette, fourrer sa main dans mon pantalon et tirer mon sexe encore inerte de mon boxer.
Pas désarmé un instant, il le tient avec sa main et le prend aussitôt entre ses lèvres. J'ouvre la bouche pour parler mais c'est une sorte de gémissement un peu trop aigu qui s'en échappe, alors qu'en même temps, mon sexe gonfle, gonfle et gonfle dans sa bouche.

Bientôt, il ne peut plus le tenir en entier. Il retire ses lèvres et son regard court sur ma verge gorgée de sang, tendue et cambrée. Je sens une espèce de surprise dans son regard. Mes traits encore juvéniles n'annoncent peut-être ni mon physique athlétique, ni ce membre massif et long qu'il tient dans sa main. Encore plus goulûment que la première fois, il le capture dans sa bouche, autant que possible, et le suce avec une avidité qui me perturbe.

Je tente de ne pas trop gémir. Je pense au type qui est encore sur la plateforme et qui pourrait bien m'entendre, malgré le roulement du train. Je ne m'attendais pas à ça. C'était sans doute un peu bête, mais en le voyant avec son treillis et son tee-shirt blanc gonflé de muscles, je pensais que c'était moi qui me retrouverais à ses pieds à tenter d'avaler un sexe trop grand pour moi. Et lui, qui est infiniment plus viril que moi, il me suce avec gourmandise, et quand ses lèvres me libèrent, c'est parce qu'il vient plaquer une langue large contre mon gland, en me regardant dans les yeux.

Je ne sais pas trop ce que je suis censé faire, alors timidement, je glisse une main dans ses cheveux. De sa main libre, alors que l'autre sert mon sexe encore plus fort, il attrapa ma main et bientôt, il me retient les deux poignets d'une poigne de fer, dans mon dos. Il me cambre un peu en avant et il recommence à me sucer. Je ne peux pas bouger, je sens juste sa bouche chaude, sa bouche humide, et le plaisir qui monte en flèche. Pourtant, je tiens bon. Je découvre ce jour-là combien je suis endurant.

Soudain, il me lâche les mains, il me lâche le sexe et recule la tête. Mon dernier soupir de plaisir sonne de frustration. Il baisse mon pantalon et mon boxer d'un coup, après les avoir ouvert, et articule son seul mot :

— Écarte.


Je suis surpris d'entendre dans son ordre beaucoup plus de supplique que d'autorité. J'ai l'impression qu'il est là, à mes pieds, comme un chien, à quémander mon sexe. Sa demande, quand même, elle m'intimide. J'agrippe le rebord du lavabo d'une main et j'écarte les cuisses comme je peux, dans ces toilettes minuscules, avec mon pantalon aux chevilles. Lui, il fixe mon sexe en se suçant un doigt.

Quand j'ai obéi, il vient presser directement son doigt entre mes fesses. Comme à son habitude, il ne prend aucun détour et je sens le bout de son index contre mon trou — la seconde suivante, il l'enfonce et je gémis de douleur. Ça brûle, ça tire et ça n'a vraiment, vraiment rien d'agréable. Mais quand je baisse les yeux vers lui, avec un peu de peur je l'avoue, je croise un regard navré et aussitôt, sa langue se plaque contre mes bourses et il se met à jouer avec, tandis que son doigt continue à pousser mes parois. Je suis partagé entre le plaisir et la douleur jusqu'à ce qu'un gémissement sonore envahisse la cabine.

Je l'entends inspirer à fond l'odeur de mon sexe. Son doigt ne progresse plus. Mais il bouge, il masse quelque chose qui se contracte et, soudain, j'ai l'impression d’être plus dur que jamais. Il abandonne mes bourses et recommence à me sucer, tandis que son doigt continue à s'activer. Jamais je n'aurais pensé connaitre un jour un plaisir pareil. Les muscles de ma mâchoire me font mal tellement je serre les dents pour m'empêcher de gémir mais, au bout d'un moment, je suis bien obligé de souffler :

— Ça... vient...

Je pensais qu'il arrêterait. Mais son doigt appuie un peu plus fort et sa langue, dans sa bouche, lèche mon gland presque brutalement. Incapable de le retenir, j'éjacule contre elle, une fois, deux fois, trois fois, de longs jets qui descendent dans sa gorge et que je le sens aspirer. Mes jambes tremblent tandis qu'il retire son doigt et que ses lèvres m'abandonnent. D'un coup de langue rapide, il récupère les gouttes de sperme qui perlent au bout de mon gland et puis, sans un mot, il se relève et sort.


D'une main tremblante, je me dépêche de refermer le verrou de la porte derrière lui. Je ne sais pas combien de temps je suis encore resté là, le pantalon baissé, le sexe luisant de salive, les jambes toujours écartées. Au bout d'un moment, confusément, je me rhabille, je tire la chasse et je sors. Le type au téléphone est toujours là et j'essaie d'éviter son regard. La vieille dame non plus, je ne la regarde pas quand je la remercie. Je me sens bien trop coupable.

Ce soir-là, quand le train arriva en gare de Grenoble, je l'ai vu sur le quai, avec cinq ou six autres militaires, qui plaisantaient bruyamment. Ils faisaient des remarques sur les filles. J'ai cherché son regard, sans succès, mais en alors que je marchais vers le centre ville, je me suis dit qu'il devait encore avoir le goût de mon sexe sur la langue et quelque part, j’étais fier.

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